J’ai déjà écouté des centaines de fois cette chanson, je connais par cœur le texte mais l’air sonne différemment ce soir. Un de ces morceaux sur lequel on n’hésite pas, inscrit dans l’auguste répertoire des chansons de l’adolescence. Il augmente le volume. On répète en chœur ce texte mythique, un rituel qu’il comprend autant que moi. Il a déjà écouté des centaines de fois cette chanson, il connaît par cœur le texte. Sa voix sur ce refrain me porte partout où il n’y a plus qu’elle, lévitation complète et toutes ses années et ces centaines de fois avec cette chanson : les prémices de ce soir. Spécialement pour ce soir, spécialement pour ici.

Bientôt ce refrain et tous ces couplets deviendront les siens.

II ne range pas ses affaires et les objets les cartons les emballages les gadgets s'accumulent chez lui comme des témoins de ses journées de ses semaines, laissés ici et là. Ils m'attendent je les entends, me racontent des bribes de son existence, s'offrent à moi comme une exposition de son quotidien de ses sorties du cours de sa vie que je perçois comme un paysage éloigné. Tout ce désordre me le rapproche, m’ouvre les volets qu’il maintient fermés.

Toutes les arômes posées sur son cou. Toujours les mêmes, je les reconnais comme une constellation dont on distingue les contours dans l’obscurité de la nuit, si satisfaite d’en saisir les formes. Fragments de lui dans cette fragrance, formule singulière qui s’offre à moi dans l’abîme de nos ardeurs et m'enivre dans sa parade lascive. Je n’ai d’autre volonté que la suivre, me disposer toute entière à elle.

M’abreuver entre ses épaules de tout ce qu’il peut me laisser, tout ce que je peux imprimer sur moi de sa présence. Tant que je suis sous ce cou, graver son goût sur moi.

Je vois des sacs de vêtements posés sur le canapé. Il aime faire les magasins, ses achats datent d'hier après-midi. Ces sacs ouverts sur son canapé, ouverts pour août et juillet. Juillet a déjà commencé. Il ouvre une boîte et me montre ses chaussures. Je lui demande d'essayer ses nouveaux habits, il fait la moue. Je savais qu'il ferait la moue. Il était en short sur le seuil de la porte. Je ne pensais pas à l'habiller avant de voir les sacs. Je lui demande de les ouvrir pour goûter à cet été où je ne serais, imaginer ses soirées ses balades sur la côte ses heures en terrasse ses tours accompagné. Je lui demande de défiler, il fait la moue. J'attendais cette expression sur son visage. Je savais qu'il ferait la moue avant de sortir ses habits. Je savais le mouvement de ses lèvres, la tension sur ses joues. Ses fossettes dessinent sa réticence et révèlent la douceur creusée de son visage en même temps qu'elle le crispe. Je retente. Il penche la tête, esquisse un rictus. Il le porte mieux que ce polo qu'il finit par enfiler. Il essaye ses chemises, la première et la suivante. Il porte coton et lin. Boutonne et déboutonne, à porter sous le soleil à porter sous la lune. Il porte l'été qu'on ne passera pas, les papillons de nuit les criquets qu'il entendra derrière les voix d'autres que moi. Il porte déjà les vagues et la rive. Juillet a commencé et il emporte la brise.

Des méandres en chaîne et porté par elles il m’entraîne. Je sens l’encens dans la pièce, encore assez. Je ne sais plus le temps et seulement l’encens. Lui sait le cours à suivre et ses vicissitudes, tout ce qu’il faut pour y tenir, sur mon échine, vif et placide.

Dispersée comme ces notes lavande, évaporée sous son égide. Je ne sais plus le temps et seulement lui pour me mouvoir sur les flots.

Sa vigueur comme seul repère quand l’encens au loin ne m’atteint plus.

Il n’y a que lui dans cette pièce.