Dimanche, fin juin, début d’après-midi, assis face à moi sur son balcon. Je ne crois pas qu’il l’ait aménagé lui-même. Quelques guirlandes de lumière bien agencées, une plante morte qu’il semble avoir oubliée dans un coin, une chaise chacun et sur la table de la citronnade, du chocolat fondu et des fraises. On devine le ciel dégagé entre les bâtiments. J’ai ramené la citronnade, le chocolat qu’il a fait fondre et les fraises. J’imagine le spectacle qu’offrent les larges vitres bleues transparentes de l’immeuble de bureaux en face - il m’explique qu’il n’y a jamais vu personne. J’arrête d’imaginer, aucun intérêt pour une scène qu’il ne voit pas même en semaine. Il habite en périphérie de la capitale, le prolongement récent du métro n’empêche pas le silence de cette ville. Elle ne semble abriter que lui et des bureaux vides. Je fais le tour du paysage par-dessus le balcon. Je lui demande s’il voit le lever ou le coucher du soleil. Il m’indique d’où il se lève, juste ici, espace vacant de bâtiments hauts. J’imagine l’aube comme il peut la voir sur son balcon, juste ici.
Il interrompt l’aube en me resservant de la citronnade, mes yeux se posent à nouveau sur lui et ne le quittent plus. Chaque fraise qu’il plonge dans le chocolat fondu, je me noie avec elle. On fini la citronnade, il a mangé la dernière fraise.
Il a laissé son verre vide sur la table. C’est encore son verre quand je le porte à la cuisine. C’est encore son verre quand je le pose dans le levier. C’est toujours son verre sur lequel je fais couler l’eau tiède. Je me résigne à y passer l’éponge imbibée de liquide vaisselle, la frotte sur ce verre imbibé de ses lèvres, imbibé de ce matin. Le produit mousse, je n’y peux rien. Ce n’est bientôt plus son verre que je rince. Le sien était imbibé de ses lèvres, imbibé de ce matin, les bulles l’ont englouti alors qu’il était encore plein de lui et maintenant je dois ranger un verre qui n’a plus que l’odeur pernicieuse du nettoyant.
En sortant j’ai eu la nausée et je ne sais pas si c’était ce plat semoules-légumes réchauffé qui semblait injurier toute ma généalogie ou l’odeur de ma chemise qui ne me semblait être que son odeur à lui, comme si je le portais sur moi comme si elle avait macéré dans ses sécrétions, qui me remontait aux narines. Ou les deux. Probablement les deux dans une conjuration grossière.