Il y a un problème avec le format littéraire, je pourrais raconter tout ce que des chansons niaises acceptent de faire et que l’on autorise à faire pour se décharger lâchement sur elles de l'envie laborieuse et épaisse de niaiseries et bouffonneries communes. Ces artistes, tièdes pour le regard de tous, mélancoliques avant l’after, sans trop en faire, deviennent les supports audiovisuels d'une catharsis abandonnée au cynisme retenue malgré elle encore dans tout ce qu'il reste de projections sentimentales. Ravagée par son temps et ses fatigues, ma génération sans doute est celle qui me vient à l’esprit en écrivant. C’est à dire au moment où je n’ai pas la force cognitive pour réussir à disséquer ma propre assertion afin de vous la développer avec la même clarté que j'aurais aimé qu’on me la développe.

Une heure après, je ne l’ai pas encore.
Je ne prendrais pas le temps de revenir dessus, demain non plus. Que la transparence et la réalité des moyens soit fils conducteurs.

Il fallait simplement accepter d’avoir son égo à un moment où l’autre secoué. Expérience avec laquelle je me suis lourdement familiarisée, et avec trop d’aise sans que je ne puisse y revenir. Il le fallait et c’est une des rares nécessités que je ne déplore pas, se voir freinés dans son élan satisfait ou en quête peinée de satisfaction, rendus à l’évidence d’une médiocrité qui ne sait plus se garder discrète.

La prose m'est apparue comme un bon compromis, entre mon vœu insatiable de poésie amoureuse, corrompue à la platitude la plus extatique et mon soucis de modéliste de ne jamais trop en dire, peut-être le moins possible. Et dans tout, et plus que je ne saurais le retranscrire dans les modalités classiques de l'écriture, un besoin démesuré et obsessionnel de mystique.

Il y a l’atmosphère qu’a su laissé juin qui continue de survoler les mois et les saisons, qui me foudroie quand je perds en forces, facteur actif de trop d’impulsions dont la mesure serait sollicitée, qui m’est restée durablement comme un mal de crâne pendant les semaines où je travaillais comme surveillante, dernière ère de stricte dépossession, il y avait toutes les feuilles d’automne par terre, une heure à régler les comptes d'enfants venus malgré leur volonté et leur parfaite lucidité dans ce supplice qu’ils m’ignoraient partager avec eux, et je me consolais dans juin, elles étaient les feuilles de juin et mon attention pour elles embaumait mon esprit usé par le travail et les préoccupations nauséeuses, ce que je pouvais tenir les mains moites. Juin mon entité sacrée invoquée silencieusement entre les toilettes des garçons et le terrain de basket.

C’est toujours juin que j’invoque avant d’écrire, l’esprit de juin, la citronnade, la pure insouciance dans une banalité lente et radieuse du désir indévié.

Il ne s’agirait pas de borner juin. On ne débattra pas des dates de juin puisqu’il s’agit précisément d’une expérience métaphysique, c’est une autre temporalité de l’existence qui s’est substituée au calendrier prosaïque. Celle dont il est présentement question ne se soumet à aucune règle spatiale, à aucune convention physique, à aucune vanité scientifique, elle n’est que sens et sensations, c’est la temporalité de l’herbe humide, des frottements de chair, de l’odeur de la Seine que l’on distingue le soir, pour la deuxième fois, de la texture des Trancetto qui revient au même moment, c’est la temporalité qui ne cadre la vie qu’en se dissolvant, qui n’a que la mémoire pour se suivre, qui n’est qu’agrégat de goûts, de marques et d’images saturées.