Les poumons bien éprouvés ce matin encore, le matin à dix-huit heures, et j’ai répertorié les numéros de personnes à contacter. Comme la dernière fois, j’ai cru appeler le géniteur et finalement, mon soupir, mon esprit apaisé, sur un autre contact, à peine moins probable, celui de H. Lui qui n’a jamais dévié, mon mathématicien, trop de fois rémergé dans les limbes de mon sommeil. H., la droiture, qu’un seul mot avec lui m’aurait nécessité ablutions sérieuses et engagées. H. avec qui j’ai partagé trop de bancs, toujours ces bancs annonçant, sans échec, sa hauteur et ses réserves. H. méditant, et dans la courbure de ses cils, dans l’espace invoqué par mon doigt sur le bouton <envoyer> de mon clavier, celui entre ses yeux bruns et ses sourcils appuyés, celui annonçant la prochaine envolée tranquille, traverse encore ce matin et les autres. Ces matins qui attendent jusqu'à la nuit, ces matins qui se contentent d'un café réchauffé, d'un café sans sucre, fait à la hâte, aux exigences d'une humeur bien trop évasive encore, tous les matins de mai dont je ne vois que trop bien la lenteur assignée. Tous les matins venant, prévenus sans surprise, et que trop attentive à eux, cherchant vaines distractions, m'ont ramenée au contact distinct, sûr, homérique, exact, de H.
H. qui m’avait laissée tant d’insectes dans des cauchemars cardiaques, parcourant mon corps, souffrant de son départ, noué dans l’appel de ses dernières étreintes, mon corps faible, en voie de putréfaction, certaine (celle que je regrette, amèrement). Ces créatures, H. m’en a laissées, elles intimideraient les cafards qui se baladent dans les salles de bains au pays, dans les cuisines, dans les carrés de canalisation que je n’ai jamais vu ailleurs que là-bas, dans les salles sombres et les greniers où s’accumulent seaux, balais, produits divers d’entretien, parfois pharmacie, et souvent, grosses couvertures, avançant toujours trop vite, effrayant les petits, ces cafards me laissaient toujours entre la surprise heureuse et une étrange admiration craintive quand je les voyais, eux les plus tenaces, eux n’auraient pas à tendre, à espérer, face aux créatures minuscules et bien trop affairées dans mes nuits fiévreuses passées sous l’imprudence de H., faire un quelconque poids.
Et donc lui recontacté, en attente d’une entre-vue, en équidistance de nos distractions, plus lointaines que je n’aurais conçu qu’elles le deviennent, un jour. Un jour de mai, un jour de printemps, mai prétextant n’importe quoi pour ne présenter que la morosité grise, qui tarde trop à faire paraître quoique ce soit qui puisse le faire apprécier. Mai, en attendant H.
Et juin venant, c’est tout ce qui semble ne plus être acquis, si ce n’est H. et sa conduite. Que je n’ai plus voulue, depuis déjà bien des mais passés, assimiler, pour laquelle m'accorder n'avait plus de raison, rompue aux nouvelles habitudes. Et pour tous les mais à venir, quoique ce soit qu’elles puissent encore offrir, de viable. Plus que tout choix actuel. Du dernier d'entre eux encore, une quelconque tentative à la sauvegarde d’autre chose, le contacter. Puisque sont regrettés ces insectes démoniaques, à peine cachés avec toute prétention dans mon esprit, ma mémoire toujours vive de leurs balades sur la carcasse que je devenais, ma carcasse déambulée entre deux rêveries, et dans le court temps du réveil, me hantaient dans la moelle laissée.
Du dernier acte, répertoriant sur une application de contacts un numéro, un nom clignotant en phare discret sur mon petit écran qui très vite commence à prendre des formes ecclésiastiques, le nom de H. L’évidence de ce Mai froid. H. pour me dispenser d’une veste étouffante, au moins sur un banc, et même ces insectes pour me tenir compagnie s’ils en étaient le prix, pour un temps à équidistance entre nos distractions chacun. Nos distractions suspendues enfin sur un même banc, quelque part, de là où il n’a jamais été question de partir.
De là où les matins s'allègent, dans l'espace liturgique que composent avec minutie les battements de cils de H., rythmées par ses inspirations-expirations dégagées en toute projection terrestre, sur un même banc, simplement le rappel de ceci possible. Et la course des parasites décrits plus haut, depuis bien des mais passés, n'a su laisser que la trace de milles petits pas agités, laissant leurs contours dans ce matin-ci, et eux-seuls m'appelant à l'invoquer. Que la forme de leurs petits membres pointus, telle l'écume laissant humide sur le sable les lettres tracées des vacanciers, soustraite depuis bien des mois à la sensation de leurs fourmillements, celle qui me tenait en haleine, dès les matins nerveux de l'ère-H., qui m'irritait la peau sans interruption, ère désormais révolue.
Et est-ce que ces insectes avaient prévenu ces matins de mai, les matins froids, les matins de dix-huit heures. L'entreprise cyclique vaine, battue sur une sortie de route, bien loin de H., le retour à l'arrivée, le café froid, mai grisonnant, et ce sont encore les pas des parasites archivés, rappelant d'autres empiècements, d'autres matins chauds, avec H. sur un même banc, méditations en duo, d'autres mais passés, autrement, ailleurs, et sans lui possible, simplement, le contact au sol.
Contre mai défaillant, contre juin tardif, contre toutes ces pétales en attente, ces petits fossiles d'insectes permettaient encore une prescription au temps. Pour celle-ci il fallait H., un banc, une intersection, quelques heures, contre mai, contre le café froid, contre juin, un retour organique.