Le lendemain matin il part en même temps que moi de chez lui, à la sortie tous les deux à droite et quelques minutes marchées ensemble avant nos deux destinations. A l’instant où il me faut tourner sans lui prendre ma route habituelle, il me dit que je peux tourner plus tard, après le passage piéton là-bas, une minute à peine. Une minute de fortune. Je ne sais pas si elle s’ajoute aux autres : s’il pense que c’est un meilleur trajet, si elle s’y soustrait, me la laisse ou me l’offre.

Il avait cherché avec moi ma paire de boucles d’oreille avant que l’on parte chacun pour notre après-midi ailleurs, avec une vigueur qui dans l’insouciance de l’instant n’a eu d’autres effets que me charmer et encore ses mouvements appliqués et dynamiques m’engourdir. Il occupait toute la pièce de sa quête inaboutie pour ma paire de boucles d’oreille, soulevant chaque coussin et il n’y a pas trop de fois pour vérifier sous le lit, entre la commode et le mur, agiter les draps. Je le voyais chercher mes boucles d’oreille avec une satisfaction qui me laissait perplexe face à elle-même, ses façons et son visage fixé sur l’image abstraite de mes boucles dans chaque coin de sa chambre, dérivé manifeste de ma réalité, une part en fuite sur laquelle étaient fixées toutes ses attentions. Comme jamais je ne pensais le voir.

Dans l'ascenseur j'ai retrouvé mes boucles d’oreilles en rouvrant mon sac, oubli fortuit qui m’a offert son air raidi d’habitude si éthéré. J’ai retrouvé mes boucles d’oreilles dans mon sac comme si elles n'auraient jamais pu se fondre dans l'éparpillement de ses affaires. Il le savait mieux que moi.

Sortis de l’immeuble il part à droite et je pars à gauche. C’était la dernière fois que je le voyais.

L’heure de pointe, pourvu qu’il neige, l’hiver a tout à offrir et le silence n’est pas un oubli.